Alors que le nombre d’infections à coronavirus dépasse désormais les 120’000 personnes dans le monde, dont plus de 4000 morts, les chercheurs se précipitent pour comprendre pourquoi le virus se propage plus facilement que ses prédécesseurs. Au départ, les autorités annonçaient un facteur de propagation d’environ 3, mais il semblerait que ce chiffre soit plus élevé. Bien qu’il soit encore trop tôt pour statuer sur le taux réel moyen, des chercheurs de l’Université de Washington pensent avoir des éléments de réponse expliquant pourquoi ce nouveau coronavirus est plus contagieux.
Suite à des analyses génétiques et structurelles, les scientifiques ont identifié une caractéristique clé du virus : une protéine de surface qui pourrait expliquer, du moins en partie, pourquoi il infecte si facilement les cellules humaines par rapport à ses prédécesseurs.
« Comprendre la transmission du virus est la clé pour permettre son confinement et sa prévention future », explique David Veesler, virologue structurel à l’Université de Washington à Seattle, qui a publié les résultats de son équipe concernant la protéine virale. L’étude est disponible sur le serveur de préimpression biomédicale bioRxiv.
Actuellement, d’autres groupes de recherche étudient la porte par laquelle le nouveau coronavirus pénètre dans les tissus humains : un récepteur situé sur les membranes cellulaires. Le récepteur cellulaire et la protéine virale offrent tous deux des cibles potentielles pour de futurs traitements, qui pourraient bloquer l’agent pathogène. Mais selon l’état d’avancement actuel des recherches, il est encore trop tôt pour en être certains.
Le nouveau coronavirus, SARS-CoV-2, semble se propager beaucoup plus facilement que celui qui a causé le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003, SARS-CoV. En effet, SARS-CoV-2 a infecté plus de dix fois plus de personnes. Cela serait également dû au fait que le nouveau coronavirus se propage alors même que le porteur ne présente pas de symptômes, ce qui n’était pas le cas en 2003.
Site d’activation de la furine : une caractéristique unique à SARS-CoV-2
Pour infecter une cellule, les coronavirus utilisent une protéine « de spike » (ou “de pointe”), qui se lie à la membrane cellulaire par le biais d’un processus activé par des enzymes cellulaires spécifiques. Les analyses génomiques du nouveau coronavirus ont révélé que sa protéine de spike diffère de celles de parents proches, et suggèrent que la protéine possède un site spécifique qui est activé par une enzyme de la cellule hôte, appelée furine.
Il s’agit d’une découverte importante, car la furine se trouve dans de nombreux tissus humains, y compris les poumons, le foie et l’intestin grêle, ce qui signifie que le virus a le potentiel d’attaquer plusieurs organes, explique Li Hua, biologiste des structures à l’Université des sciences et technologies de Huazhong à Wuhan (Chine), où l’épidémie a débuté.
La présente découverte pourrait également expliquer certains des symptômes observés chez les personnes atteintes du COVID-19, tels que l’insuffisance hépatique, explique Li, co-auteure d’une analyse génétique du virus publiée sur le serveur de préimpression ChinaXiv le 23 février. SARS-CoV (2003) et d’autres coronavirus du même genre que le
nouveau ne possèdent pas de sites d’activation de la furine, explique-t-elle.
Le site d’activation de la furine « définit le virus très différemment de SARS-CoV en matière de pénétration dans les cellules, et affecte peut-être la stabilité du virus et donc la transmission », explique Gary Whittaker, virologue à l’Université Cornell à Ithaca, à New York. Son équipe a notamment publié une autre analyse structurale de la protéine de spike du coronavirus sur bioRxiv, le 18 février.
Plusieurs autres groupes ont également identifié le site d’activation comme permettant éventuellement au virus de se propager efficacement entre les humains. Ils notent que ces sites se trouvent également dans d’autres virus à forte propagation interhumaine, y compris des souches sévères du virus de la grippe. Sur ces virus, le site d’activation se trouve sur une protéine appelée hémagglutinine, et non sur la protéine de spike.
Appel à la prudence
Mais certains chercheurs hésitent et ne veulent pas surestimer le rôle du site d’activation dans la capacité du nouveau coronavirus à se propager plus facilement. « Nous ne savons pas si cela va représenter un problème majeur ou non », explique Jason McLellan, biologiste des structures à l’Université du Texas à Austin, également co-auteur d’une autre analyse structurelle du coronavirus.
D’autres scientifiques se méfient de comparer les sites d’activation de la furine des virus de la grippe à ceux du nouveau coronavirus. En effet, la protéine d’hémagglutinine à la surface des virus de la grippe n’est pas similaire ou liée à la protéine de spike des coronavirus, explique Peter White, virologue à l’Université de New South Wales à Sydney, en Australie.
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Et le virus de la grippe qui a provoqué, en 1918, la pandémie la plus meurtrière jamais enregistrée — appelée communément “grippe espagnole”, n’a même pas de site d’activation de la furine, explique Lijun Rong, virologue à l’Université de l’Illinois, à Chicago.
Whittaker déclare notamment que des études sur des modèles cellulaires ou animaux sont nécessaires pour tester la fonction du site d’activation. « Les coronavirus sont imprévisibles, et même les très bonnes hypothèses peuvent être fausses », dit-il. Son équipe teste actuellement comment la suppression ou la modification du site d’activation de la furine affecte la fonction de la protéine de spike.
Des résultats reproduits par d’autres équipes
L’équipe de Li étudie également des molécules capables de bloquer la furine, qui pourraient être envisagées comme thérapies potentielles. Mais à cause de l’épidémie, leurs progrès sont plutôt lents. Li vit sur le campus (à Wuhan) et est actuellement le seul membre de son équipe à pouvoir accéder au laboratoire.
Au Texas, le groupe de McLellan a identifié une autre caractéristique qui pourrait expliquer pourquoi le nouveau coronavirus infecte les cellules humaines avec autant de succès. Leurs expériences ont montré que la protéine de spike se lie à un récepteur des cellules humaines — connu sous le nom d’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE2) — au moins dix fois plus étroitement que la protéine de spike du virus du SRAS.
L’équipe de Veesler est également arrivée aux mêmes conclusions, ce qui suggère que le récepteur est une autre cible potentielle pour les vaccins ou les thérapies. Par exemple, un médicament qui bloquerait le récepteur pourrait rendre plus difficile l’entrée du coronavirus dans les cellules, ce qui pourrait permettre au moins de fortement ralentir l’épidémie jusqu’à la disparition du virus.
Jonathan Paiano (www.trustmyscience.com)