A l’occasion d’un communiqué lu à la télévision nationale le jeudi 03 mars dernier, interdisant toute exportation au poste frontalier des denrées alimentaires de première nécessité pendant au moins trois mois, en raison de l'approche imminente du mois de Ramadan, par le ministre du commerce, de l’industrie et des petites et moyennes entreprises (PME).
Notre rédaction de ramtoulaye.com a tendu son micro à Madjou Bah, spécialiste des cultures maraîchères, qui a donné son point de vue sur cette déclaration.
Ramtoulaye.com : Monsieur Bah, vous avez suivi ce communiqué lu à la télévision nationale, qui interdit l’exportation des denrées alimentaires de première nécessité. Vous évoluez dans la culture maraîchère, notamment l’aubergine, le gombo et les concombres. Quelle est votre réaction ?
Madjou Bah : « Moi, je suis dans la culture maraîchère, je produis généralement de l’aubergine, du gombo et des concombres. J’ai suivi avec attention ce communiqué. Il faut dire que l’intention est bonne, mais avant de prendre ce genre de décision, il faut penser aux mesures d’accompagnement. D’accord, c’est pour soulager la population pendant le mois de Ramadan, une intention salutaire. Mais d'un autre côté, il y a un risque de perte énorme de notre côté.
Nous allons devoir acheminer les récoltes jusqu'à Conakry, mais est-ce qu'on a un lieu de stockage ? Quand on vend en bordure de route, il n’y a pas de lieu de stockage, encore moins de conservation.
Supposons que j’envoie 800 sacs d’aubergines, 400 sacs au marché de Matoto et 400 autres au marché de Koloma. Si je ne parviens pas à évacuer tout cela à temps, parce qu’on ne peut pas conserver, qui va perdre ? D’ailleurs, pendant le transport, nous perdons parfois plus de 5 à 6 sacs à cause de la superposition dans le véhicule. D’habitude, quand nous avons 800 sacs, nous en orientons 200 voire 250 sacs vers la frontière sierra-léonaise parce que nous avons des clients fidèles là-bas. Maintenant, mettez-vous à notre place, si nous orientons tout cela à Conakry sans succès, est-ce que cet agriculteur aura le courage de produire ? C’est pourquoi j’ai parlé de mesures d’accompagnement et de subventions si possible.
Ramtoulaye.com : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez lors de la production ?
Madjou Bah : Nous avons des difficultés de transport, d'abord du champ de culture au bord de la route. Le second cas concerne l'embarquement jusqu'à la destination, c’est-à-dire Conakry. Avant, nous perdions beaucoup de marchandises en
route en raison de la dégradation avancée des routes. Heureusement, ce problème a été résolu et les routes sont désormais bonnes. Cependant, une fois arrivés à destination, nous enregistrons toujours des pertes.
Ramtoulaye.com : Qu'est-ce qui explique la cherté de ces produits à l'approche du Ramadan ?
Pendant le Ramadan, la demande est forte et pendant la saison sèche, tout le monde ne produit pas car cela nécessite des moyens importants. Planter ces produits-là, les arroser au moins deux fois par jour avec un manque criant d'eau, sans machine ni travailleurs pour aider à l'arrosage et à l'entretien, tout cela devient compliqué pendant cette période. Ainsi, lorsque la demande dépasse l'offre, les prix augmentent. Voilà ce qui explique en partie la cherté de ces produits.
Ramtoulaye.com : Quel appel avez-vous lancé à l'endroit des autorités par rapport à cette décision ?
Nous invitons les autorités à venir nous rencontrer, nous les producteurs qui sommes sur le terrain, pour échanger avec nous et comprendre nos soucis ou les problèmes que nous rencontrons. Cela pourrait nous encourager à travailler davantage et, s'il y a lieu, à être subventionnés. L'agriculture est une force pour le développement, et si l'État ne produit pas et que les producteurs ne sont pas encouragés, cela constitue un manquement. Si l'on interdit l'exportation des produits, qu'on nous donne un lieu de stockage et de conservation pour éviter les pertes. Cela ne va pas encourager les producteurs à produire davantage. L'État dispose de techniciens spécialisés qui peuvent discuter avec les producteurs locaux pour comprendre les défis à relever avant de prendre des décisions...
Interview réalisée : par Amadou Diallo.