Le président de la république a, dans une adresse solennelle à la nation hier, décidé de soumettre à l’approbation du peuple souverain de Guinée un projet de nouvelle constitution dont le contenu a été dans la foulée publiée dans les médias.
Dans ce papier, j’essaierai de présenter les nouveautés de ce projet de constitution par rapport à celle de 2010 qui est toujours en vigueur. Le président de la république et sa majorité politique n’ont cessé de venter les mérites d’une adaptation de la loi fondamentale aux réalités guinéennes, il me semble en tant qu’intellectuel de participer à la compréhension par le public quand au contenu de ce projet de constitution et surtout de montrer les différences avec l’actuelle constitution dans toute sa dimension.
Des droits et devoirs du citoyen
Tous les droits et libertés consacrées dans l’actuelle constitution du 7 mai 2010 ont été conservées dans ce projet de nouvelle constitution. Cependant, il y a des nouveautés dans la ‘’constitution Alpha’’ que je vais nommer ainsi.
L’égalité homme/femme consacrée par la constitution
C’est la première nouveauté par rapport à la constitution de 2010. Dans ce projet, il est indiqué que pas plus de 2/3 des membres d’une instance élue et du gouvernement ne doivent être composée que d’un seul sexe, en l’occurrence le masculin, je cite l’article 9 du projet : « La République affirme que la parité homme/femme est un objectif politique et social. Le Gouvernement et les assemblées des organes délibérants ne peuvent être composés d’un même genre à plus des deux tiers des membres. »
La prise en charge des personnes avec handicap par l’Etat
C’est l’autre grand apport de ce projet de nouvelle constitution. Dans l’actuelle constitution du 7 mai 2010, le handicap n’est pas pris en compte dans la constitution. Désormais, c’est une anomalie prise en compte par la constitution Alpha. L’article 25 dispose : « Les personnes âgées et les personnes handicapées ont droit à l’assistance et à la protection de l’Etat, des collectivités et de la société. » c’est une consécration d’une solidarité importante de la nation.
Favoriser l’unité de l’Afrique
C’est le point annonciateur d’un titre entier consacré à l’unité africaine. Une nouvelle responsabilité pour l’Etat guinéen. L’article 30 dispose : « Il [l’Etat Guinéen] favorise l’unité de la Nation et de l’Afrique ». Le titre XVI y est entièrement consacré, on y revient vers la fin sur ce point.
De l’exécutif et du pouvoir législatif
Du président de la république
L’augmentation de la durée du mandat présidentiel
C’est le changement majeur que vont retenir sans nul doute plusieurs personnes. Le mandat présidentiel passe en effet de 5 à 6 ans renouvelable une fois. L’article 40 du projet Alpha dispose : « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de six (6) ans, renouvelable une fois. »
Un retour au pouvoir d’un ancien Président possible
L’autre nouveauté s’agissant de la durée du mandat du chef de l’Etat est que, le Président de la république n’est élu que pour un mandat de 6 ans renouvelable une seule fois. Cependant contrairement à la constitution du 7 mai 2010 qui stipule à son article 27 : « En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non », la constitution Alpha limite elle aussi la durée du mandat mais pas le nombre. C’est-à-dire qu’un président ayant fait ses deux mandats (12 ans), après avoir transmis le pouvoir à quelqu’un d’autre pour un premier mandat de 6 ans, peut revenir concourir à nouveau au suffrage des guinéens. L’essentiel est qu’il quitte le pouvoir à l’issue de ses 12 ans d’exercice.
De l’Assemblée Nationale
La candidature à l’Assemblée dès l’âge de 18 ans
La durée du mandat des députés n’a pas changé, elle est toujours de 5 ans (article 68 projet constitution Alpha). La nouveauté est que tout guinéen désormais âgé de 18 ans révolu peut-être candidat à la députation, alors que la limite était de 25 ans à l’article 60 dans la constitution de 2010 : « Les Députés à l’Assemblée Nationale sont élus au suffrage universel direct. La durée de leur mandat est de cinq ans, sauf cas de dissolution. Il peut être renouvelé. L’âge minimum pour être éligible à l’Assemblée nationale est de 18 ans révolus. »
Une session unique au parlement
C’est l’autre changement apporté au pouvoir législatif. Au lieu de deux (2) sessions par an (article 68 de la constitution de 2010), il y aura une seule session avec la constitution Alpha. Elle commencera du 5 octobre de chaque année au 04 juillet de l’année suivante. Article 75 du projet.
Un pouvoir renforcé de l’Assemblée sur le gouvernement
De la censure du gouvernement dès la déclaration de politique générale
C’est un changement notable par rapport à celle de 2010. Dans l’article 57 de la constitution du 7 mai 2010, le Premier ministre faisait une déclaration de politique générale devant l’assemblée sans vote. Désormais avec la constitution Alpha, le PM a droit à un vote favorable du parlement pour être validé, à défaut d’un aval des parlementaires, il démissionne avec l’ensemble de son gouvernement, article 99 : « Lorsque l’Assemblée Nationale adopte une motion de censure ou lorsqu’elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement, le Premier Ministre doit remettre au Président de la République la démission du Gouvernement. »
L’instauration d’une journée par semaine de Questions au Gouvernement
Jusque-là le Premier ministre et ses ministres ne se présentaient au parlement que pour présenter une proposition de lois ou de budgets, cette fois-ci avec la constitution Alpha, le Premier ministre et l’ensemble de son gouvernement sont obligés de répondre aux questions des parlementaires sur leur gestion une fois par semaine. C’est ce qui se fait notamment tous les mercredis en France devant l’assemblée et jeudi devant le Sénat.
Sur l’initiative législative
L’intégration dans la constitution de l’initiative populaire législative
Sans doute dans le domaine législatif, c’est le plus marquant des améliorations. Désormais les citoyens guinéens peuvent être directement à l’origine des textes de lois au parlement. Pour cela, il leur faut réunir 150.000 signatures du corps électoral approuvé par un dixième des députés pour être votée à l’assemblée nationale. Article 92 : « L’initiative des lois appartient concurremment au Gouvernement et aux députés. Le peuple peut soumettre à l’Assemblée Nationale une proposition de loi visant à faire adopter une mesure d’intérêt général. Cette initiative doit réunir au moins 150 000 signatures d’électeurs et être approuvée par un dixième des Députés pour être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée et faire l’objet d’un examen ». Avant l’initiative des lois n’était réservé qu’au président de la république et aux députés (article 84 constitution du 7 mai 2010)
Du nombre des institutions constitutionnelles
Dans la constitution de 2010, les institutions républicaines sont au nombre de 10 sans compter la présidence de la république et le gouvernement. Désormais dans la nouvelle constitution Alpha, il y aura 9. La haute autorité de la communication (HAC) de dame Martine Condé est supprimée. Elle sera sans doute au chômage les prochains mois dans son Siguiri natale.
De la candidature aux élections nationales
Les candidatures indépendantes désormais autorisées
C’est l’un des reproches fait à la constitution du 7 mai 2010 son manque d’ouverture à la société civile, c’est-à-dire qu’elle ne permet pas la candidature indépendante aux élections nationales à l’exception des communales qui sont des élections de proximité. Désormais tout guinéen disposant de ses droits civils et politiques peut se présenter à la présidentielle et/ou aux législatives sans étiquette politique. Article 42 pour la candidature à la présidentielle et l’article 68 pour la députation de la Constitution Alpha dispose : « Tout candidat de nationalité guinéenne » et disposant de ses « droits civils et politiques » peut être candidat à ses élections. Contrairement à l’article 3 de la constitution de 2010 qui stipulait pour ces deux élections que seuls les partis pouvaient présenter les candidats : « Ils présentent seuls les candidats aux élections nationales ».
Du Panafricanisme constitutionnel
L’intégration Africaine consacrée par la loi suprême
Le président Ahmed Sékou Touré doit sans doute être heureux dans les cieux, quelqu’un a décidé de prendre la Guinée là où il a laissé. En effet, il est désormais inscrit noir sur blanc dans la constitution Alpha que la Guinée peut décider de se fondre partiellement ou totalement dans une unité politique africaine. Article 156 du titre XVI du projet Alpha stipule : « La République de Guinée peut conclure avec tout Etat africain des accords d’association, comprenant abandon partiel ou total de souveraineté en vue de réaliser l’Unité Africaine. La République de Guinée accepte de créer avec les Etats africains, des organisations intergouvernementales de gestion commune, de coordination et de libre coopération ». Cet article est exactement la même rédaction que celle de l’article 34 du titre VIII intitulé : Des Relations Interafricaines de la constitution de 1958 qui dispose : « la République peut conclure avec tout Etat africain des accords d’association ou de communauté, comprenant abandon partiel ou total de souveraineté en vue de réaliser l’Unité Africaine »
L’intangibilité constitutionnelle conservée
L’intangibilité, ce sont les dispositions d’un texte ou d’une constitution qui ne peuvent faire l’objet de modification. La constitution Alpha conserve ce principe mais avec une nuance près tout de même : cette intangibilité n’est plus valable pour le nombre de mandat, pour le comprendre reportez-vous au début de cet article sur la partie ‘’durée du mandat’’. L’article 158 dispose en effet : « La forme républicaine de l’Etat, le principe de la laïcité, le principe de l’unicité de l’Etat, le principe de séparation et de l’équilibre des pouvoirs, le nombre de mandats présidentiels, le pluralisme politique ne peuvent faire l’objet d’une révision ». Je rappelle que cette intangibilité était fixée à l’article 154 de la constitution du 7 mai 2010.
Voici les nouveautés du projet de constitution que j’ai nommé « Constitution Alpha »
*Les articles cités de la constitution du 7 mai 2010 et celle du 10 novembre 1958 sont en italique
*Les articles du projet de constitution Alpha sont en gras italique.
Par Alexandre Naïny BERETE, étudiant guinéen en Master 2 de droit social, Gestion des Ressources Humaines à l’Université de Nantes/IAE Bordeaux.
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